jeudi 31 janvier 2019

Une galère de 30 ans, et le risque du pire

Nicolas est un autiste de 37 ans qui vit depuis toujours en famille avec ses 2 parents, sa mère 66 ans et son père 68 ans, tous deux tuteurs légaux.

Handicapé à 80 %, Nicolas avait travaillé un temps en ESAT mais sa situation s’est dégradée et il est accueilli en journée, depuis une dizaine d’années, dans un  SAJ (Service d’Accueil de Jour) d’une grande association locale. Sa vie est donc rythmée sur cette organisation avec quelques semaines par an de vacances qu’il passe à la maison à ne rien faire.

Ses parents essaient de l’emmener chaque année en vacances avec eux pour 15 jours. Et il aime ces courts moments de différence en confiance. Ses relations en société se limitent aux réunions en famille, avec la famille de sa mère, avec la belle famille de sa sœur 45 ans et de ses 3 nièce et neveux, et plus rarement avec sa grand mère de 94 ans et son oncle de 70 ans hémiplégique. Nicolas n’a aucun ami à part ses relations au SAJ.

Ses parents sont omniprésents pour assurer sa protection, sa défense et son bien être partout et à la maison. Ils lui assurent tous ses déplacements, ses visites et interventions de santé, son habillement, sa nourriture, ses très rares loisirs. Nicolas a une AAH (Allocation Adulte Handicapé) de base pour survivre et une PCH (Prestation Compensatrice du Handicap) minimale pour indemniser très chichement les dépenses de ses parents, notamment leurs importants déplacements matin et soir au SAJ, et leurs très nombreuses heures de présence quotidiennes pour lui réserver du temps et de l’attention au domicile. Les parents sont mobilisés et se relaient sur la surveillance et l’accompagnement de 6h à 9h le matin et de 16h à 23h l’après-midi et le soir. Le père se charge de la toilette, des rasages, de l’habillage et des interventions physiques d’accompagnement. Il assure également les rapports au juge des tutelles. La mère assure quant à elle toute l’intendance de nourriture, d’habillement et de soins, l’intendance de paiements et de couverture sociale (dentiste, médecin, hôpital, etc.).

A l’évidence la compensation du handicap, selon la loi de 2005, est très loin d’être en place sans l’intervention on peut dire gratuite et permanente des 2 parents.

Les parents vieillissent et le père a été récemment hospitalisé dans le cadre d’une maladie à surveiller. La mère est très occupée et fatiguée car elle assure l’accompagnement de sa mère très âgée et de son frère lourdement handicapé.

Le père est très investi dans le monde associatif. Il est président et administrateur de 5 associations du handicap. Il connaît bien le monde sanitaire et médico-social et celui des institutions. Il en connaît tous les mérites, les contraintes, les limites et les dérives.

Le contexte et la situation de Nicolas se dégradent peu à peu. Les parents multiplient depuis 5 ans des efforts pour s’entretenir de façon rapprochée avec les équipes du SAJ, lesquelles font du mieux qu’elles peuvent, avec elles aussi des moments de faiblesse.

Le SAJ, organisé tel quel,  ne permet pas l’application du PPI (Projet Personnalisé ou Pédagogique Individuel) de Nicolas, projet du reste limité au périmètre du SAJ alors que la vie de Nicolas ne commence pas et ne s’arrête pas aux portes de cet établissement. Ce PPI est pourtant révisé tous les ans et depuis un an maintenant chaque bimestre. Il est sans suite dans les faits.

Les parents souhaitent élargir la protection et la défense de Nicolas en passant de statut de tuteurs à celui de l’habilitation familiale en regroupant avec eux leur fille de 45 ans, mère de 3 enfants, la sœur de Nicolas, à sa protection et à sa défense.

L’autodétermination de Nicolas est très difficile à s’exprimer et à se faire comprendre, mais un besoin de changement partiel et d’ouverture est globalement perçu.

Ce point a été évoqué avec les équipes du SAJ. Mais tout ce que l’on peut trouver comme réponse est inopérant pour rechercher et coordonner une prise en charge ouverte, ou effectuer des décalages ou des changements de prise en charge et de mode de vie.

Le SAJ est encore très mal adapté pour accompagner des personnes autistes et leur accorder, au calme, le temps et l’attention qu’il faudrait. Tout le travail de recherche et de négociation d’hypothétiques alternatives retombe sur les parents qui sont fatigués. Par ailleurs, en dépit de la position particulière du père dans le monde associatif militant parental, ils ne disposent d’aucuns pouvoirs réels pour faire appliquer la Loi, c’est à dire une complétude et une régulation de la compensation du handicap de leur fils.

Le travail de suivi semaine par semaine, mois par mois des évolutions de Nicolas et de ce qu’il fait ou tente de faire au SAJ demande une posture et une énergie qui devraient être assurées dans la continuité par un professionnel en capacité d’agir de façon transverse aux organisations de différents dispositifs. Par ailleurs le partage de secret sur la situation de Nicolas pose toujours un gros problème de confidentialité et l’information détenue par les professionnels n’est pas accessible aux parents pourtant défenseurs, représentants légaux et porte-paroles en dernier ressort.

Les choses restent donc dramatiquement en l’état depuis des années avec le constat de l’inéluctable de l’affaiblissement du contexte protecteur de Nicolas par absence de toute organisation qui permettrait d’essayer autre chose et de garantir la protection, la défense et l’autodétermination de leur fils à vie.

Nicolas continue donc, en tendance lourde, de régresser.

Les parents font le constat que ce qui existe déjà ne suffit en rien à la réalité d’un avenir serein. Leur rêve serait donc d’avoir un renforcement de la protection et de la défense ultime de leur fils, en étant sûrs qu’une organisation légale garantisse celles-ci quand ils ne seront plus là. Ils souhaiteraient pouvoir s’assurer que l’autodétermination de leur fils sera toujours garantie et que ses défenseurs ultimes pourront maîtriser l’information intime de son accompagnement et la gouvernance de celui-ci.

Pour les décharger et apporter de la compétence dans un système très compliqué, le rêve des parents serait aussi de pouvoir s’appuyer sur un professionnel qui s’occuperait de la situation de Nicolas, tout le temps, pour rechercher, négocier et organiser des essais de prises en charge différentes, articulées de concert avec tous les intervenants et d’en contrôler les effets.

Ils militent depuis des années pour mettre en place cette organisation-là. Voir www.dedici.org

Épilogue.
Il est bien clair ici que l’absence d'une organisation structurée autour de la personne handicapée oblige les Défenseurs Ultimes à s’épuiser, avec la certitude qu’après eux rien ne sera plus pareil pour leur fils, et que, grand risque, ce soit pire. Constat est aussi fait de l'inapplication de la Loi et de l'absence d'une organisation sanctuarisée, gouvernée et pilotée avec, au cœur, l’assurance de l'autodétermination du Citoyen Vulnérable.



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